"Upper East Sider"
Depuis mon arrivée à New York, je suis sous le charme de cette ville protéiforme. Dans l’Upper East Side comme ailleurs dans Manhattan, l’énergie grouillante de la ville vous envahie et vous emporte vers votre destinée.
Le premier contact avec la rue, le matin, en allant vers mon université, est brutal : Les klaxons des voitures, le ronronnement des moteurs, des climatisations et les pas des talons aiguilles sur le macadam envahissent tout l’espace sonore. Mais pas le temps de se laisser assommer par cette ambiance qui explique pourquoi les New-yorkais parlent si fort. Je monte sur mon vélo et en ajuste les cale-pieds. Bientôt je serais moi-même un acteur de ce tableau de la frénésie ambiante, en brûlant les feux rouges et en traçant ma route le long des couloirs de bus encombrés de voitures mal garés et de camions de chantier oeuvrant à l’édification de nouveaux gratte ciels, encore minoritaires dans ce quartier. Aujourd’hui, on y croise plutôt ces vieilles maisons dont les escaliers de secours en façade semblent autant de porte-jarretelles en dentelle de Calais.
De mon vélo, j’apprécie le spectacle bigarré qui s’offre à moi comme un jeune garçonnet européen propulsé dans l’univers de ses héros cinématographiques de toujours : ébahi, jamais blasé, par ces énormes camions de pompiers, ces voitures de police rutilantes et ces ambulances mugissantes. Le quartier n’est pas harmonieusement beau avec ses trottoirs jonchés de sac poubelles, mais les perspectives des avenues interminables, l’achalandage des boutiques colorées, des bars chromés et des restaurants ‘Zagat rated’ à la mode en bas de ces immeubles, soit modestes, soit chic, soit poussiéreux, soit rutilants de peinture fraîche, lui donne un exotisme exubérant à mes yeux.
Le chic, parfois réel, est parfois virtuel aussi : un concierge en uniforme et un ‘awning’, cette espèce de longue marquise en toile tenue par une armature métallique frappée du numéro et de l’indication de la rue, suffisent souvent à faire passer un immeuble banal et vétuste pour un palace luxueux.
Tout est spectacle et les gens en particulier, qui font l’âme d’un quartier :
L’ouvrier bourru, le salarié empoté dans son costume cravate, Les clochards à l’oeil alerte, et les joggers de tous sexe qui troqueraient bien Manhattan contre un tapis marcheur dans une salle de fitness.
Les femmes, omniprésentes, sortent de chez elles, ou des innombrables salons de manucure, apprêtées, maquillées et l’air décidé. Comme beaucoup de gens matinaux ici, elles regardent droit devant elles. Le moment n’est pas à la flânerie, mis à l’efficacité mis en œuvre dans les bureaux des quartiers verticaux de Downtown.
Je retrouverais ce soir ces Dianes chasseresses, mais en Jézabel cette fois, et parées de robes à paillettes, en route vers quelques lieux où la prohibition de l’alcool n’est plus que vieux et mauvais souvenir. Leur retour de ces lieux de fêtes sera plus zigzagant et, entre deux fous rires avec leurs amies, devant la file d’attente d’un café-concert ou à la sortie d’un restaurant ou d’un bar animé, leur regard s’attardera longuement sur votre silhouette européenne. Avant de s’évanouir dans la nuit…